Papa,
Je vais laisser ton surnom de papouf à tes petits-enfants pour aujourd’hui.
Je vais faire de mon mieux pour te raconter, avec mes yeux et mon cœur de fille. Sans doute pas très objective mais tellement fière et avec la simplicité que tu affectionnais tout particulièrement.
Tu n’aimais pas les fioritures dans quelques domaines que ce soit, donc je vais les éviter autant que faire se peut. Mais je voudrais dire ici combien ta perte vient raviver l’impérieuse nécessité de la transmission dont nous devenons soudain le dernier maillon pour nos enfants et petits-enfants.
Te perdre bouscule tous les piliers de notre existence, nos postures et autres certitudes. Mais tu n’es pas mort. Tu nous as juste passé le témoin et je sais combien te rendre hommage sera de continuer à nous épanouir et à vivre heureux avec maman et nos proches.
Tiens justement, elle va sourire maman en entendant les anecdotes qui ont jalonnés notre vie car elle ne les aura pas toujours vu et vécu de la même manière.
On ne peut pas parler de toi sans évoquer rapidement (tu n’aimes toujours pas les épanchements…) ta vie d’enfant. Tu souriais lorsque nous pleurions devant le film « Jacquou le croquant qui faisait écho à ton enfance » (je viens de perdre la génération x,y,z…. ), . Tout au long de l’année qui vient de s’écouler, j’ai pris en vidéos ces moments de vie que tu me racontais. Et là encore, tu tenais à rectifier ton histoire, me disant avec conviction combien tes parents ont fait de leur mieux et que tu n’avais pas souffert de votre vie simple à l’orée du bois de Cheverny. Je crois que c’était encore et toujours ta nature optimiste qui prenait le pas sur les difficultés.
Et cela sera ton plus beau cadeau. Regarder devant, garder le cap vers le beau temps et ne pas ressasser les tempêtes.
Lorsque nous avons cherché toutes les photos de toi que nous avions, nous nous amusions de ton regard facétieux, plein de cette malice que nous affectionnions particulièrement.
Tu ne voyais pas le regard aimant des enfants qui venaient accompagner leurs parents en visite à la maison. Pourtant, ils savaient que tu les taquinerais et qu’ils repartiraient de la maison avec un grand sac rempli de chocolats. Ce chocolat qui faisait de toi quelqu’un de « rond » dans tous les sens du terme. Cette rondeur contre laquelle nous pouvions nous blottir pour un câlin, souvent chahuté par nos rires et nos cris de joie. Tu ne pouvais pas t’empêcher de nous mettre des vis avec ton doigt, dans les côtes ou nous remonter le menton, comme tu disais, avec ton poing (et là, même les générations x,y,z savent de quoi je parle) .
Lorsque nous étions enfants, nous attendions ton retour le soir couchés dans notre lit, afin d’avoir ces moments de chahuts avec toi. Les mots n’étaient pas ton fort mais cela nous suffisait à nous sentir aimés.
Parfois et pour nous amuser, maman t’enfermait dans la chambre pour éviter le chahut. Et nous aimions te taquiner là-derrière la porte en te traitant de « fauve en cage » avec ce petit geste de nos doigts.
Tu n’aimais pas que l’on se plaigne et même si tu ne nous le disais pas en face à face, pour ne pas nous blesser, ton comportement nous aidait à le comprendre. Tu aimais les gens travailleurs qui ne comptaient pas leurs heures et qui « fonçaient » devant la difficulté. Pour l’anecdote, maman aimait à répéter que tu étais du signe du bélier.
Un jour, alors que je mettais fêler l’os du coude quelques jours avant, tu me demandes de t’aider à porter des plaques d’ardoise afin de faire notre terrasse, rue du Grand Douzillé.Je ne veux surtout pas te rappeler que j’ai mal à mon bras car je ne veux pas te décevoir. Mais au retour de maman le soir, tu t’es fait gronder. Moi, j’étais fière de ne pas t’avoir déçu et je savais que tu t’en voulais de ne pas y avoir pensé. Mais les mots étaient inutiles entre nous et nous le savions tous les deux.
Comme tu n’étais pas un grand fan de l’administratif, je t’aidais à classer tes papiers le dimanche sur la table de la salle à manger dans les chemises correspondantes à chacun de tes clients. C’est ainsi que des années après, j’entendrais chez ces mêmes clients parler de toi avec grande fierté. Tu étais une référence dans ton métier de commercial. Tu savais arrondir les angles avec fermeté et tu ne passais jamais pour le commercial qui avait du bagout.
Pour continuer sur les anecdotes, tu nous as fait équeuter 50kgs d’haricots verts pour en donner une grande partie à des amis maraîchers passant à l’improviste. Là, tu nous as entendu râler. Mais ta bonhommie suffisait à faire passer la colère qui nous animait.
D’autres anecdotes me reviennent et font échos à ce qui m’anime aujourd’hui. Lorsque que nous nous retrouvions à pâques en Sologne dans la maison de ton enfance avec tous nos cousins, tu cachais les chocolats dans le jardin. J’ai eu la chance de trouver une belle poule en chocolat et tu m’as gentiment demandé de la donner à Sylvie, ma cousine, qui n’en avait jamais eu à l’époque. Mais tu avais oublié qu’à part les tablettes et autres chocolats qui dormaient au sous-sol, moi non plus je n’avais jamais eu de poule en chocolat. Et pour la petite fille que j’étais, c’était un vrai plaisir. Pourtant, je savais quelle serait ta déception si je l’avais gardé pour moi. Et cela m’a appris combien donner rempli plus d’amour. Tu n’avais pas besoin de croire en dieu pour le savoir.
Tu n'aimais pas non plus la mise en avant, même pour tes enfants. Un jour où Thierry jouait au foot au stade de l’intrépide juste à côté de la maison, tu étais allé le voir jouer. Et discrètement, mélangé aux téléspectateurs, tu critiquais le jeu de ton fils en disant qu’il fallait le sortir tant il jouait mal. Les gens se demandait qui était ce monsieur qui critiquait un joueur, apparemment pas mauvais du tout, à l’époque. Cela t’amusait tellement.
Comment parler de toi et ne pas évoquer tes facéties avec ton grand copain Raoul.Lui qui ne peut être là aujourd’hui car trop faible pour venir. Vous faisiez les 400 coups avec vos bricolages. Une fois, la remorque que vous aviez mal attachée vous ai passée devant vous sur la route. Heureusement qu’il n’y avait personne en face… J’en passe et des meilleures.
Un jour que tu rentrais d’une réunion de travail avec ton collègue Jean Hascouët, dont tu étais très proche, tu le déposes à Poitier. Mais ce dernier oublie le kg de foie gras qu’il avait acheté dans le sud, dans le coffre de ta voiture. En arrivant à la maison (il n’y avait pas de portable à l’époque), tu me dis que si Jean appelle, je dois lui dire que tu es parti à la déchetterie jeter les cartons qui sont dans ton coffre. Je vous laisse imaginer la réaction de son copain et la mine réjouie de papa en l’entendant jurer au téléphone. Depuis le temps que je raconte cette farce, je ris toujours autant, rien qu’à y penser.
Je ne peux passer outre sur ta demande faite à Jean-Pascal d’aller chercher des clous de girofle chez le cordonnier. Imaginez la tête du dit cordonnier !!!
Comment voulez-vous que l’humour ne fasse pas parti de notre vie et par ricochet, qu’elle n’atteigne pas nos enfants, tes petits-enfants. D’ailleurs, une de mes grandes satisfactions, est d’avoir entendu mon petit-fils Malo, dire un jour : nous, quand on dit aux gens qu’ils sont « moches », c’est qu’on les aime Qui ne sait pas que papa avait pour habitude de dire aux gens (surtout aux enfants) qu’ils étaient « moches » ou des « sales bêtes » pour leur exprimer toute son affection. Même le personnel de l’Ehpad le savait et s’en amusait. Ce qui nous a touché, d’ailleurs au départ de papa, c’est de voir Thiphaine, une jeune aide-soignante de 21 ans venir en pleurs voir papa et lui dire « Claude, tu es beau ». Il avait rallié à lui l’équipe médicale car il ne se plaignait pas et ne voulait pas les déranger, mais autant que faire se peut, il avait gardé son humour, comme une forme d’élégance au-delà de sa douleur d’être là où il ne voulait pas.
Papa, tu étais aussi quelqu’un de curieux qui prenait ses sources dans les informations à la radio où à la télé car tu lisais très peu, sauf le journal local à la retraite. Tu préférais le contact humain, les gens de la terre qui étaient vrais pour toi. D’ailleurs cette dernière année, si on voulait animer nos visites auprès de toi, nous regardions les articles du courrier de l’ouest et tous les sujets liés au monde rural te faisaient sortir de ton silence. La boule de fort, la chasse, les chiens , l’agriculture, le cheval sont tant de sujets qui suscitaient de l’intérêt pour toi. J’en apprenais toujours plus avec toi. Tu aimais les gens, sincèrement.
Je ne peux parler de toi sans relater ce chantier incroyable que fut le sous-sol que tu as creusé sous la maison de tes propres mains. Et ce même avec une jambe plâtrée (déplâtrée bien avant la date prévue) au grand dam de mamoun qui a découvert le chantier en rentrant du travail un samedi. Tu avais sans doute oublié de lui en parler. Un détail pour toi mais qui voulait dire beaucoup pour elle : un an de travaux, de bazard, d’inquiétudes et j’en passe. Encore ton côté bélier !
Papa, tu t’émerveillais devant chacun de tes petits-enfants et arrières petits-enfants. J’ai eu plaisir à leur envoyer à chacun les vidéos de cette année passée où tu me parlais d’eux, afin de les rassurer sur ce lien indéfectible qui te lie à eux. Je ne cesse, ces derniers jours de me raccrocher à des souvenirs comme le premier morceau de chocolat que tu as fait goûter à Maylis. Tu riais de voir qu’elle exprimait déjà à six mois des « hummm » de satisfaction. Sache que depuis ton départ, Ophélie se console avec des tablettes de chocolat. Elle qui a fait le déplacement du Chili pour te dire un dernier au revoir. Tu l’aurais rouspété sans aucun doute, mais tu l’en aurais aimé encore plus.
Tu conseillais encore la semaine dernière à Maylis d’apprendre le solfège pour jouer du piano. Tu disais à maman regretter de ne pas avoir vu Pablo, notre dernier petit-fils. Mais en fait tu ne te rappelais plus qu’il était venu avec ses parents. Quand je te faisais écouter les vidéos de ses éclats de rire, tu souriais.
Chacun avait grâce à tes yeux. Tu t’inquiétais à chacune de mes visites de leur bien-être, de leur travail. Je leurs disais tes inquiétudes mais aussi ta satisfaction de les savoir bosseurs et pleins de ressources.
Papa, je voudrais dire encore tant de choses sur toi. Sans doute pour me rassurer et m’assurer que tous ceux qui sont là près de nous aujourd’hui, repartiront avec pleins de bons souvenirs de toi. Et puis repousser le moment ultime de la séparation. Mais je te promets de garder le cap de l’optimisme par respect pour toi et maman qui avez toujours œuvrés dans ce sens dans notre éducation.
Un petit clin d’œil à ton côté marin avec une dernière anecdote. Lors d’une traversée de Groix vers Lorient par temps de brouillard, Tu as dû arrêter un bateau en mer pour demander la route car tu avais omis de prendre ton compas. Maman et nous sommes rentrés dans la cabine du bateau, te laissant gérer seul. Mais tu n’as reculé devant rien et avec tout le naturel qui te caractérise, tu as accosté un petit bateau dont le marin n’en revient sans doute toujours pas….
Je voudrais remercier maman qui s’est si bien occupée de toi et ce depuis plusieurs années afin de te rendre présentable à chacune de nos visites et répondre à tes besoins du mieux qu’elle le pouvait.
Bon vent papa !!!